La Reine de la Nuit

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 19 février 2014
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Disponible dans ces autres langues: anglais, persan

La Reine de la nuit (également connue sous le nom de "plaque de Burney") est une plaque de terre cuite en haut-relief, mesurant 49,5 cm de haut, 37 cm de large et 4,8 cm d'épaisseur, représentant une femme nue ailée, flanquée de hiboux et se tenant sur le dos de deux lions. Elle provient du sud de la Mésopotamie (Irak actuel), très probablement de Babylonie, sous le règne d'Hammurabi (1792-1750 av. J.-C.), car elle partage des qualités artisanales et techniques avec la célèbre stèle en diorite des lois d'Hammurabi, ainsi qu'avec la pièce connue sous le nom de "dieu d'Ur", datant de la même époque.

La femme représentée sur le relief est considérée être une déesse puisqu'elle porte la coiffe à cornes d'une divinité et tient dans ses mains levées le symbole sacré du bâton et de l'anneau. Non seulement la femme est ailée, mais ses jambes se terminent par des serres d'oiseau (qui semblent agripper le dos des lions) et elle est représentée avec un ergot sur ses mollets. Le long de la base de la plaque, un motif représente des montagnes, ce qui indique un terrain élevé. L'identité de la femme ailée n'a pas fait l'objet d'un consensus, mais les spécialistes pensent généralement qu'il s'agit d'Inanna (Ishtar), de Lilith ou d'Ereshkigal. La pièce fait actuellement partie de la collection du British Museum, salle 56, à Londres.

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The Queen of The Night Relief
Relief de la Reine de la nuit
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

Histoire de la plaque de Burney

En 1936, la plaque de Burney fit l'objet d'un article dans l'Illustrated London News, mettant en valeur la collection d'un certain Sydney Burney, qui avait acheté la plaque après que le British Museum eut décliné l'offre d'achat. La pièce n'ayant pas fait l'objet de fouilles archéologiques, mais ayant été simplement retirée d'Irak entre les années 1920 et 1930, son origine et son contexte sont inconnus. On ne sait pas non plus comment la plaque arriva à Londres, mais elle était entre les mains d'un marchand d'antiquités syrien avant d'être portée à l'attention de Sydney Burney.

On ne sait pas grand-chose de Sydney Burney, si ce n'est qu'il était capitaine dans l'armée anglaise pendant la Première Guerre mondiale et qu'il était président de l'Antique Dealers Association de Londres. La plaque était brisée en trois morceaux et quelques fragments lors de l'achat initial mais, une fois réparée, elle s'avéra pratiquement intacte. La plaque de Burney fut analysée en 1933 et authentifiée en 1935 avant l'offre faite au British Museum. La plaque changea ensuite de mains à deux reprises avant que le British Museum ne l'acquière finalement en 2003 pour la somme de 1.500.000 livres, un prix considérablement plus élevé que celui demandé en 1935. C'est à cette époque que la pièce connue sous le nom de plaque de Burney fut appelée "La Reine de la Nuit" en raison du pigment noir foncé du fond original de la plaque et de l'iconographie (les ailes dirigées vers le bas, les pieds en griffes, etc.) qui associe la figure féminine au monde souterrain. Le nom est donc une désignation moderne, et non ancienne, de la plaque. Il n'y a aucun moyen de savoir comment la pièce s'appelait à l'origine ou dans quel but elle avait été créée.

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The Queen of the Night Reconstruction
Reconstruction de la Reine de la nuit
Trustees of the British Museum (Copyright)

Composition du relief

La plaque est faite d'argile à laquelle on a ajouté de la paille pour lier le matériau et éviter qu'il ne se fissure. Le fait que la pièce ait été cuite dans un four, et non séchée au soleil, témoigne de son importance, car seules les œuvres d'art et d'architecture les plus significatives furent créées de cette manière. Le bois étant rare dans le sud de la Mésopotamie, il n'était pas utilisé à la légère pour la cuisson des objets en argile. Selon le Dr Dominique Collon du British Museum, la plaque fut fabriquée à l'aide d':

... argile pressée dans un moule et laissée à sécher au soleil...la figure était faite d'argile assez rigide qui était pliée et poussée dans un moule de forme spéciale, avec plus d'argile ajoutée et pressée derrière pour former la plaque. La figure de la Reine fait donc partie intégrante de la plaque et n'a pas été ajoutée ultérieurement. Après séchage, la plaque a été démoulée, les détails ont été gravés dans l'argile dure comme du cuir et la surface a été lissée. Cette surface lissée est encore visible à certains endroits, notamment près du nombril de la reine... Les bords de la plaque ont été taillés au couteau. La plaque a ensuite été cuite. (15)

Une fois la pièce cuite et refroidie, elle fut peinte avec un fond noir, la femme et les hiboux en rouge, et les lions en blanc avec des crinières noires. Les symboles de la tige et de l'anneau, le collier de la femme et sa coiffe étaient dorés. Les traces des couleurs d'origine peuvent encore être détectées sur la plaque aujourd'hui, même si elles se sont largement effacées au fil des siècles.

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Origine et emplacement

Même si l'on ne saura jamais exactement où la pièce fut fabriquée, dans quel but ou quelle déesse elle représente, les similitudes techniques entre cette pièce et le soi-disant "dieu d'Ur" sont si frappantes que l'on a supposé que la ville sumérienne d'Ur en était le lieu d'origine. Le Dr Collon note:

Le dieu d'Ur est si proche de la Reine de la Nuit par sa qualité, son exécution et ses détails iconographiques qu'il pourrait bien provenir du même atelier, peut-être à Ur, où d'importants vestiges de l'ancienne période babylonienne furent mis au jour entre 1922 et 1934. (20)

La personne qui se serait appropriée la plaque à l'époque pourrait donc être un membre de l'une des équipes de fouilles ou simplement quelqu'un qui serait tombé sur la plaque une fois mise au jour.

Tous les chercheurs qui l'ont étudiée ont proposé des théories sur son emplacement et sa signification. Comme la prostitution sacrée était pratiquée dans toute la Mésopotamie, l'historien Thorkild Jacobsen pensait que la plaque faisait partie d'un sanctuaire dans une maison close. Le Dr Collon note cependant que "si tel était le cas, il devait s'agir d'un établissement de très haut niveau, comme en témoigne la qualité exceptionnelle de la pièce" (22). Elle ajoute que la plaque aurait été accrochée à un mur de briques crues, probablement dans une enceinte, et que, lorsque le mur de briques crues se serait effondré, la plaque de terre cuite serait restée relativement intacte. Le fait que la pièce ait survécu pendant plus de 3000 ans atteste qu'elle fut enterrée assez tôt après la chute ou l'abandon du bâtiment qui l'abritait, car elle fut ainsi protégée des intempéries et du vandalisme.

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Queen of the Night Plaque
Reine de la Nuit, haut-relief
Davide Ferro (CC BY)

Identité de la Reine de la Nuit

L'identité de la reine est l'aspect le plus intrigant et, comme nous l'avons vu plus haut, trois candidates ont été proposées: Inanna, Lilith et Ereshkigal. Le motif de la femme nue était populaire dans toute la Mésopotamie. L'historien Jeremy Black note que:

Des figurines d'argile faites à la main représentant des femmes nues apparaissent en Mésopotamie à l'époque préhistorique; elles ont des traits appliqués et peints. Les figurines de femmes nues imprimées à partir d'un moule de poterie ou de pierre apparaissent pour la première fois au début du deuxième millénaire avant J.-C... Il est très peu probable qu'elles représentent une déesse mère universelle, bien qu'elles aient pu être destinées à promouvoir la fertilité. (144)

Inanna serait la déesse correspondant à une plaque encourageant la fertilité, puisqu'elle présidait à l'amour et au sexe (et aussi à la guerre), mais cette identification pose un certain nombre de problèmes.

Inanna

Si l'on accepte les conclusions du Dr Black et d'autres qui sont d'accord avec lui, cela pose un problème avec Inanna en tant que reine de la nuit, car elle n'était pas universellement considérée comme une déesse mère comme l'était Ninhursag. Ninhursag était la mère des dieux et était considérée par le peuple comme la grande déesse mère. Le fait qu'Inanna soit la reine pose également des problèmes liés à l'iconographie de la plaque. Si Inanna est associée aux lions, elle n'est pas liée aux hiboux. La coiffe et les symboles de la tige et de l'anneau conviendraient à Inanna, tout comme le collier, mais pas les ailes, les pattes en forme de serres et les ergots. L'expert Thorkild Jacobsen, qui soutient qu'Inanna est bel et bien la reine, présente quatre aspects de la plaque qui indiquent l'identité de la reine:

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  1. Les lions sont un attribut d'Inanna.
  2. Les montagnes sous les lions reflètent le fait que la demeure originelle d'Inanna se trouvait au sommet des montagnes à l'est de la Mésopotamie.
  3. Inanna emporta le bâton et l'anneau lors de sa descente aux enfers et son collier l'identifiait en tant que prostituée.
  4. Ses ailes, ses serres d'oiseau et ses hiboux montrent qu'Inanna est représentée sous son aspect de déesse des hiboux et de déesse des prostituées.

Le Dr Collon rejette cependant ces affirmations en soulignant qu'Inanna "est associée à un lion, pas à deux" et que le point concernant le symbole de la tige et de l'anneau et le collier peut être écarté car ils "auraient pu être portés ou tenus par n'importe quelle déesse" (42). Le Dr Collon souligne également que la "première photographie publiée du relief de la Reine de la Nuit en 1936 indiquait : "Ishtar... la déesse sumérienne de l'amour, dont les hiboux qui la soutiennent posent un problème"" (43). Ishtar était le nom ultérieur d'Inanna et, bien que les chouettes aient été mentionnées dans les contes concernant la déesse, elles n'ont jamais fait partie de son iconographie. De plus, Inanna n'est jamais représentée de face dans l'art ancien, mais toujours de profil, et la chaîne de montagnes au bas de la plaque pourrait également être identifiée à Ereshkigal ou Lilith.

Lilith

Lilith est un démon, pas une déesse, et bien que le démon Lilith soit associé à des hiboux, ce ne sont pas les mêmes types de hiboux qui apparaissent sur le relief. En outre, Lilith provient de la tradition hébraïque, et non mésopotamienne, et ne correspond qu'aux démons féminins mésopotamiens connus sous le nom de lilitu. Les lilitu et les démons dits ardat-lili étaient particulièrement dangereux pour les hommes qu'ils séduisaient et détruisaient. Les démons masculins de ce type, les lilu, s'attaquaient aux femmes et représentaient une menace particulière pour celles qui étaient enceintes ou venaient d'accoucher, ainsi que pour les enfants en bas âge. L'article The Burney Relief: Inanna, Ishtar ou Lilith ? explique pourquoi l'identification de Lilith est une probabilité :

Rafael Patai (The Hebrew Goddess 3rd ed. 1990) raconte que dans le poème sumérien Inanna et l'arbre Huluppu, une démone nommée Lilith a construit sa maison dans l'arbre Huluppu sur les rives de l'Euphrate avant d'être mise en déroute par Gilgamesh. Patai décrit ensuite la plaque de Burney: "Un relief babylonien en terre cuite, à peu près contemporain du poème ci-dessus, montre sous quelle forme Lilith était censée apparaître aux yeux des humains. Elle est mince, bien formée, belle et nue, avec des ailes et des pattes de hibou. Elle se tient droite sur deux lions couchés qui se détournent l'un de l'autre et sont flanqués de hiboux. Elle porte sur la tête un bonnet orné de plusieurs paires de cornes. Elle tient dans ses mains un anneau et une baguette. De toute évidence, il ne s'agit plus d'une humble démone, mais d'une déesse qui dompte les bêtes sauvages et qui, comme le montrent les hiboux sur les reliefs, règne la nuit.

Malgré cela, la possibilité que la plaque de la Reine de la Nuit, avec son haut degré d'habileté artisanale et son souci du détail, soit une représentation d'une lilitu est très improbable. Selon la tradition hébraïque, Lilith fut la première femme créée par Dieu qui refusa de se soumettre aux exigences sexuelles d'Adam et s'envola, se rebellant ainsi contre Dieu et ses projets pour les êtres humains. On pense qu'elle aurait ensuite occupé les terres désolées et, comme les lilitu, qu'elle s'est attaquée aux hommes sans méfiance depuis lors. Dans l'une ou l'autre tradition, la lilitu n'était pas une figure suffisamment populaire pour être représentée sur une plaque comme celle de la Reine de la nuit. Le Dr Black note que "les dieux et les démons maléfiques ne sont que très rarement représentés dans l'art, peut-être parce que l'on pensait que leurs images pouvaient mettre les gens en danger" (62). La chaîne de montagnes représentée au bas du relief suggère également l'identification de Lilith en représentant la nature sauvage habitée par l'esprit, mais la coiffe, le collier, les symboles de la tige et de l'anneau et la signification de la plaque sont autant d'arguments qui vont à l'encontre de l'hypothèse de Lilith.

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Queen of the Night Detail
Détail de la plaque de Burneyf
wikipedia user: Fae (CC BY-SA)

Ereshkigal

La troisième candidate est la sœur aînée d'Inanna, Ereshkigal, la reine du monde d'en dessous. Son nom signifie "Dame de la Grande Terre", en référence au pays des morts, et certains aspects de la plaque semblent suggérer qu'Ereshkigal est la meilleure candidate au poste de reine. Le motif des ailes pointant vers le bas était utilisé dans toute la Mésopotamie pour indiquer une divinité ou un être spirituel associé au monde souterrain, et la reine possède de telles ailes. Ereshkigal vivait dans le palais souterrain de Ganzir, que l'on croyait situé dans les montagnes de l'est, ce qui expliquerait la chaîne de montagnes représentée au bas de la plaque. À propos de Ganzir et du monde souterrain, le Dr Collon écrit : "C'était un endroit sombre et les morts, nus ou vêtus d'ailes comme des oiseaux, erraient sans rien à boire et avec seulement de la poussière à manger. Quoi qu'ils aient accompli dans leur vie, la seule sentence était la mort, prononcée par Ereshkigal" (44).

Dans le poème La Descente d'Inanna aux Enfers, Ereshkigal est célèbre pour sa nudité: "Aucun linge n'était étendu sur son corps. Ses seins étaient découverts. Ses cheveux tourbillonnaient autour de sa tête comme des poireaux" (Wolkstein et Kramer, 65) et la reine sur la plaque est nue. De plus, contrairement aux représentations d'Inanna de profil, la reine est représentée de face. Le Dr Collon écrit:

En tant que déesse, Ereshkigal avait droit à la coiffe à cornes et au symbole du bâton et de l'anneau. Sa frontalité est statique et immuable et, en tant que reine du monde souterrain où "les destins sont déterminés", c'est à elle que revient le jugement ultime : elle aurait pu avoir droit à deux symboles de la tige et de l'anneau. (44)

De même, les lions sur lesquels la reine se dresse pourraient représenter la suprématie d'Ereshkigal sur les êtres vivants les plus puissants et les hiboux, associés aux ténèbres, pourraient être liés au pays des morts. Toute l'iconographie de la plaque de la Reine de la nuit semble indiquer que la divinité représentée est Ereshkigal mais, comme l'indique le Dr Collon, "aucun lien définitif ne peut être établi avec Ereshkigal car elle n'a pas d'iconographie connue: son association avec la mort en a fait un sujet impopulaire" (45). En l'absence d'iconographie connue d'Ereshkigal à laquelle comparer la Reine de la Nuit, l'identité de la Reine de la nuit demeure un mystère.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2014, février 19). La Reine de la Nuit [The Queen of the Night]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-658/la-reine-de-la-nuit/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "La Reine de la Nuit." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le février 19, 2014. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-658/la-reine-de-la-nuit/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "La Reine de la Nuit." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 19 févr. 2014. Web. 28 avril 2024.

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